La transition vers des motorisations alternatives au diesel dans le secteur du transport routier et de la logistique est un enjeu majeur pour réduire l’impact environnemental de cette industrie. Mais quelles sont les solutions les plus prometteuses ? Comment accompagner efficacement les entreprises dans cette transformation ? Et quels sont les défis économiques à surmonter ? Denis Benita, expert à l’ADEME, nous éclaire sur les leviers d’action, les technologies émergentes et les perspectives d’évolution du secteur vers des alternatives plus durables.
Denis Benita
Vous avez mentionné lors du SITL travailler sur un contenu qui puisse accompagner les entreprises du transport routier dans leur transition vers des motorisations alternatives au diesel. Qu’y retrouvera-t-on et que faut-il en retenir ?
Pour accompagner les entreprises du transport routier et de la logistique dans leur transition énergétique, nous avons élaboré un « avis d’expert » d’une trentaine de pages. Ce document sert d’outil d’aide à la décision, offrant une vision claire et objective des solutions disponibles pour remplacer le diesel dans le secteur.
Notre analyse débute par une présentation du contexte réglementaire, notamment les restrictions européennes qui incitent à explorer de nouvelles motorisations, suivie d’un état des lieux du parc et du marché des véhicules actuels. Cette base permet de comprendre les enjeux de la transition.
Le cœur du document examine en détail les principales alternatives énergétiques : gaz naturel (GNV et bioGNV), carburants liquides alternatifs (biocarburants, e-fuels), électrique (batteries), hydrogène (pile à combustible et moteur thermique), et rétrofit (conversion de véhicules existants). Chaque option est évaluée selon ses avantages, ses inconvénients, sa maturité technologique et son potentiel de déploiement.
Cette approche permet à chaque entreprise d’élaborer sa propre stratégie de transition, en tenant compte de ses besoins spécifiques, des types de trajets effectués et des infrastructures disponibles.
Parmi ces alternatives, laquelle (ou lesquelles) semble la plus prometteuse à court et moyen terme pour la logistique ?
Pour commencer, la filière gaz, notamment le GNV (Gaz Naturel pour Véhicules), est une option mature et déjà utilisée dans le secteur des autobus urbains. Actuellement, environ 1,7 % du parc de véhicules logistiques utilise le GNV. Bien que légèrement plus coûteuse, cette option bénéficie d’un réseau de stations en développement, ce qui facilite son adoption.
Ensuite, la filière des biocarburants est également mature et disponible, principalement pour les flottes captives. Cette option offre une alternative rapidement déployable au diesel conventionnel.
À moyen et long terme, la filière électrique apparaît comme la plus intéressante. Elle présente plusieurs avantages majeurs, notamment le fait de n’émettre aucune émission à l’échappement et un excellent rendement énergétique, supérieur à celui du diesel. Cependant, elle fait face à des défis importants, spécialement son coût d’achat et l’autonomie des modèles disponibles pour le moment. À ce jour, on estime que le coût total de possession (TCO) d’un véhicule électrique est 10 à 30 % supérieur à celui d’un diesel. Toutefois, malgré ces défis, la filière électrique est considérée comme ayant le plus d’atouts à long terme, sous réserve d’avancées technologiques et d’une réduction des coûts.
Pour terminer, je citerais la filière du retrofit, qui consiste à convertir des véhicules existants, est également mentionnée comme une option en développement, offrant une voie de transition potentielle.
Par quels moyens l’ADEME soutient-elle aujourd’hui la transition de la filière vers des alternatives au diesel ?
L’ADEME joue un rôle important dans le soutien à la transition de la filière logistique vers des alternatives au diesel. Notre approche est multidimensionnelle, combinant aides financières, expertise technique et outils d’aide à la décision.
Sur le plan financier, nous intervenons principalement à travers des appels à projets financés par le dispositif France 2030, comme par exemple l’appel à projet « briques technologiques et démonstrateurs hydrogène ». Nous avons également mis en place un concours d’innovation dédié aux projets innovants mono-partenaires portés par des startups et PME et conduisant à favoriser l’émergence accélérée d’entreprises leaders dans leur domaine.
Côté électrification des poids lourds, un projet particulièrement important pour 2024 est notre programme de Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) « E-TRANS » destiné à financer ces véhicules. Doté de 130 millions d’euros, ce programme devrait permettre de financer au moins 2100 véhicules lourds, dont 85 % de camions, via 2 dispositifs d’aide :
- un premier dispositif d’aide pour l’acquisition de poids lourds (hors bennes à ordures ménagères), doté d’une enveloppe de 20 M€, lancé le 12 juin dernier sous forme de guichet réservé aux PME et aux TPE ;
- un second dispositif, ouvert à toutes les entreprises, qui sera doté de 110 M€ et lancé en août, sous forme d’appel à projets. 95 M€ seront réservés aux poids lourds (hors bennes à ordures ménagères), 10 M€ aux autobus et navettes urbaines et 5 M€ aux autocars.
Les aides concerneront les véhicules neufs ou le retrofit.
Au-delà du soutien financier, nous mettons à disposition des acteurs du secteur une expertise approfondie. Nous publions régulièrement des notes d’experts et des études sur diverses alternatives au diesel, comme le retrofit électrique ou le retrofit GNV. Ces analyses comparatives sur les différents carburants alternatifs sont conçues comme de véritables aides à la décision pour les transporteurs.
Nous développons également des outils permettant aux entreprises d’évaluer concrètement les options qui s’offrent à elles en fonction de leurs besoins.
L’ensemble de ces initiatives vise à fournir aux transporteurs toutes les informations et le soutien nécessaires pour faire des choix éclairés dans leur transition énergétique. Notre objectif est d’accompagner au mieux la filière dans cette transformation majeure, en combinant soutien financier, expertise technique et outils pratiques.
Quels leviers faudrait-il activer pour accompagner la transition de la filière à moyen-long terme ?
Le levier fiscal est probablement le plus efficace pour accélérer la transition énergétique. Un exemple concret est la fin programmée de la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques), dont les transporteurs bénéficient actuellement d’un remboursement partiel pour l’utilisation du gazole. On pourrait également envisager la mise en place d’un éco-score pour les poids lourds, similaire à celui existant pour les particuliers, afin d’encourager l’achat des véhicules les plus efficients.
Un deuxième levier important serait la simplification de la réglementation, notamment en ce qui concerne le rétrofit ; des actions ont d’ailleurs déjà été menées en ce sens.
Enfin, le levier économique reste crucial. Il faut poursuivre la mise en place d’aides financières) pour lever des fonds et développer l’infrastructure nécessaire, notamment les stations de recharge et d’approvisionnement. Pour les véhicules électriques, le problème des stations publiques est moins critique car la plupart se rechargent la nuit au dépôt.
Concernant l’hydrogène, il sera probablement plus adapté aux usages intensifs. Cependant, en raison de son faible rendement énergétique, il est important de cibler soigneusement les projets à financer dans ce domaine.
L’activation combinée de ces différents leviers permettrait d’accompagner efficacement la transition de la filière logistique vers des alternatives plus durables, en tenant compte des spécificités de chaque technologie et des besoins du secteur.
Peut-on envisager un TCO équivalent, voire plus intéressant thermique – électrique à court terme ?
L’objectif principal est d’atteindre un coût total de possession (TCO) équivalent entre les véhicules électriques et diesel d’ici à 2030, sans recourir à des aides. Cependant, l’analyse économique dans ce domaine est complexe, notamment en raison de la variabilité des prix des poids lourds et des ressources énergétiques.
En effet, le prix d’un poids lourd n’est pas standardisé et dépend de nombreux facteurs tels que les options choisies, la fidélité du client, et les spécifications de carrossage. Cette diversité complique l’établissement de comparaisons directes.
Néanmoins, le ministère des transports a élaboré plusieurs scénarios dans sa feuille de route pour décarboner la chaîne de valeur des véhicules lourds. Ces projections suggèrent que pour les véhicules de 19 à 26 tonnes effectuant de courtes distances, le TCO des versions électriques deviendrait plus avantageux que celui des diesels entre 2025 et 2030. Pour les poids lourds de 44 tonnes, ce point d’équilibre serait atteint un peu après 2030.
Un élément clé de ces projections est que le surcoût initial à l’achat des véhicules électriques pourrait être en partie compensé par des coûts d’énergie plus faibles par rapport au diesel. Cette différence de coût opérationnel jouerait un rôle crucial dans l’atteinte de la parité du TCO.
Ces estimations soulignent l’importance de considérer autant les coûts d’acquisition que les coûts d’exploitation sur toute la durée de vie du véhicule dans l’évaluation de la viabilité économique des alternatives au diesel.
Parmi les initiatives actuelles dans le secteur du transport routier, y a-t-il des projets qui vous semblent particulièrement innovants ou prometteurs en termes de décarbonation ?
Oui, il y a effectivement des projets prometteurs et ambitieux dans le domaine. Un exemple particulièrement intéressant est l’expérimentation ECTN (European Clean Transport Network) lancée récemment par CEVA Logistics.
Ce projet vise à tester sur 900 km, entre Avignon et Lille, un concept de transport routier longue distance bas-carbone. L’approche est novatrice car elle s’inspire du système des « relais de poste », en créant des stations relais équipées de bornes de recharge électrique et de stations bioGNC sur le réseau autoroutier, au niveau desquelles les remorques sont décrochées puis raccrochées au camion tracteur du segment suivant.
Ce qui rend ce projet pertinent, c’est qu’il cherche à démontrer la faisabilité de la décarbonation du transport routier de marchandises longue distance sans nécessiter d’innovations technologiques majeures. De plus, il implique divers acteurs du secteur dans une démarche de co-construction, ce qui pourrait faciliter son adoption à plus grande échelle.
L’expérimentation, prévue sur deux ans, permettra d’évaluer concrètement les bénéfices environnementaux et l’efficacité opérationnelle de ce modèle. Si les résultats sont concluants, ce concept pourrait potentiellement être déployé à l’échelle européenne, offrant ainsi une solution concrète pour réduire significativement l’empreinte carbone du transport routier de marchandises.